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Maelström antéposé aux absinthes

- PROSE OPERATOIRE -

I - Arrivee :

Un carosse vire dans les marécages. Crépuscule. Bruit de sabots, de roues en des flaques vaseuses. Vent irrégulier et inquiétant, craquements de branches.
Le fiacre s’arrête, les chevaux soufflent, la portière couine. La boue tache les chaussures. On monte doucement les marches - elles sont en pierre - puis la porte pivote en grinçant. On ne toque pas.

II – Décès :

Lourde fermeture de la porte. Venant de l’étage :

VOIX

Docteur ! Docteur !

Bruits de pas dans l’escalier, on descend.

VOIX

Ah, enfin ! Nous désespérions !

DOCTEUR

Je suis né en retard. Il est irrattrapable.

VOIX

Nous sommes installés dans votre lit.

DOCTEUR

Toute liberté est bonne à prendre, tant que l’on est patient. Cependant, votre maître
- et je le connais bien - en est un très mauvais : il est inaltérable.

MAJORDOME

Vous êtes là : il est malade ! Ce que faucheuse est au cadavre, vous l'êtes au souffrant.

DOCTEUR

(S'expliquant)

On me fait quérir : me voilà. - Et à ma propre maison, ce qui est bien étrange -

MAJORDOME

(Niant d'un bloc)

Il n’en est rien : si vous voilà, c’est qu’on se meurt ici.

DOCTEUR

Alors là, vous vous moquez !

MAJORDOME

Tenez, un signe déjà !

VOIX

(Venant du haut des escaliers)

A l’aide, vite ! Je me meurs !

DOCTEUR

Au diable tout cela ! J’ai trop peu d’une seule vie pour ces vains conflits administratifs ! Bruits de pas dans l'escalier.

VOIX

(Se rapprochant, tantôt géniarde, tantôt fanatique)

Aaaahhhhhhh ! EEEeeeuuuuuuuaaaaaa !
La pensée se précise ! Ca y est, je passe à l’acte !

MAJORDOME

Entrez, c’est ici.

LE MAITRE

(se débattant dans son lit)

J’ai la mor - tadelle au... CUL !

MAJORDOME

(horrifié)

Il délire ! Regardez, il bave ! Il remue ! Il a des spasmes !

LE MAITRE

Oligarchie hertzienne ! Banquet bouffi de gros plomb - aux tartares antiques !

DOCTEUR

Crise de mysticisme, bourricot !

MAJORDOME

(Plein de louanges, puis pensif)

La marque des grands hommes. Futur glorieux l’attendrait, s’il venait à mourrir...

LE MAITRE

(bruits de bouche les plus terribles)

Bllll, blllll !

MAJORDOME

Il veut son mouchoir ! A la graisse d’oie !

LE MAITRE

(De plus belle. Frénésie bucale.)

Bllll, blllll !

MAJORDOME

Il veut la piqure, donnez-la lui !

On la lui donne.

MAJORDOME

Ah, ça va mieux : il fait caca.

Accalmie, puis reprise de spasmes plus terribles : grand final, crisée et point final.

MAJORDOME

Il est mort !

DOCTEUR

Naturellement.

MAJORDOME

Il refuse de respirer : comment peut-il bien vivre ?

DOCTEUR

Le miroir se trouble cependant, tenez.

MAJORDOME

Il a tant donné qu’il veut refroidir, voilà tout.

DOCTEUR

Il dort peut-être, tout simplement ?

MAJORDOME

Un homme de son rang ! Ca n’est pas l’heure…

DOCTEUR

Ses artères sont vides : regardez.

MAJORDOME

Il doit penser : tout va au cerveau.

DOCTEUR

Il refuse de porter son col à jabeaux, ignore des cacaouettes, même : il faut l’avouer, il ne vit plus ! Sinon, il parlerait, montrerait ses photos, et vous ferait voir, un peu, combien ses dents sont blanches !

MAJORDOME

Il préférait médicaments aux cacaouettes.

DOCTEUR

C’est plus croustillant. Surtout à brassées doubles.

MAJORDOME

Il fume. Laissons-le refroidir.

Silence.

MAJORDOME

Docteur, il faut à présent commencer comme il faut : il y a des règles.

DOCTEUR

(Offusqué)

Elle est à moi, hé, cette tirade !

MAJORDOME

Fi ! Les formulaires vont vites : la maison est à nous.

DOCTEUR

(Résigné)

L’administration est bien étrange, mais non moins efficace. Dans ce cas, préparons mon entrée.

MAJORDOME

(Le raccompagnant à l'entrée)

Vous devez refermer la porte, hé.

La porte se ferme.

III - Réception :

On toque. Le majordome, lunettes rondes-bacchantes, petit et charnu, ouvre une porte grinçante.
Trois chiens ignobles aboient leur bave torrentielle. On les retient. Une voix distinguée file entre les dents écartées du majordome, rescapant de son énorme bouche chevaline :

MAJORDOME

(Au docteur)

Ah, Docteur, ça n’est que vous !


(Aux molosses)

Du calme mes poulains, du calme... Retournez à la niche, mes cerbères ! Mes lions ! Les lardons se préparent.

DOCTEUR

Ils sont terribles.

MAJORDOME

A l’image de votre retard. Le maître ne survit pas à telle inertie : il meurt sur l’instant.

DOCTEUR

Mais d’où le tenez-vous ?

MAJORDOME

De la bouche d’un spécialiste.

DOCTEUR

Je n’ai plus qu’à partir. Tenez, je pleure.

MAJORDOME

Une vraie chiffe-molle. Et sans un mouchoir, c’est bien triste. Cependant, un bon repas attend à l'intérieur. Il est à vous : vous devez le manger. Les chats sont déjà gras.

DOCTEUR

C'est évident : ils feraient des caprices !

MAJORDOME

Il faut me suivre : vous pourriez vous perdre. Tout est changé de place.

DOCTEUR

Evitez les détours, de grâce.

IV – Repas :

Cloche de table retentissante.

MAJORDOME

Choux gras sauce catalane !

Bruits de couverts.

MAJORDOME

Fettuci riatelli aux scarapina limon !

Bruits de couverts. Bruits de bouche.

MAJORDOME

Côte de boeuf et dentelles de steack !

Bruits de couverts. Bruits de bouches et de délectation.

MAJORDOME

Et pour finir, maelström glacé, antéposé aux absinthes !

Bruits de couverts. Bruits de bouche, de délectation. On se lèche les doigts, avec beaucoup de salive. Entre le maître.

MAJORDOME

(frétillant)

Allelujah ! Vous ressuscitez, monsieur : l’abstinence paie, enfin !

LE MAITRE

(solennel)

Il n’en est rien, mon brave : mes paysages interieurs s’étant déchirés, que pouvais-je contempler, encore ?

DOCTEUR

C'est un coma intellectuel, en somme. Rien de plus.

LE MAITRE

On me dit sujet à la catalepsie.

DOCTEUR

Naturellement ! Le sang bleu l’exige...

LE MAITRE

Désirez-vous un bonbon à l’os ? Pour digérer... Peut-être prendrez-vous un doigt - de madère ? Tenez, j’ai de quoi nous divertir : vous en serez fou ! Au salon !

V – Spectacles :

LE MAITRE

(Brailleur.)

Louis !

Bruits de clochettes, se rapprochant gaiement.

LE BOUFFON

Ouuuuiiii, maaaîîîîîître !

LE MAITRE

Ah, Louison, mon petit Louison, danse ! Pour nous, oui, danse, petit être ! Satanique ! Tu l’est n’est-ce pas mon... petit ; "chico".

LOUISON

Je suis la chair à canon - de satan.

Danse du bouffon : il y a de la musique. Ensuite, elle accélère, se répète ridiculement.

LE MAITRE

Les jarrets... plus haut, les jarrets ! Allons, découvre nous ces jambons ! Je veux que tu gambades ! Remue-nous ces gambettes !

Le spectacle se termine.

LE MAITRE

Ah Louison... Adorable Louison ! Je te dorerai les coffres ! Je t’enduirai de milles graisses nuptiales afin que tous contemplent ces muscles saillants !

LOUISON

(Râles de complaisance.)

LE MAITRE

Viens ici que je te presse. Allons, va ! Petit diable !

Les clochettes s'éloignent. Le feu est dans la cheminée.

DOCTEUR

Si seulement j’avais eu des tomates !

LE MAITRE

Il les adore.


(Soudainement)

Tenez, Mèdows, apportez-moi mon luth, voulez-vous ?

MAJORDOME

Les boyaux ne sont pas prêts, monsieur.

LE MAITRE

Dans ce cas, je jouerai du clavecin.

MAJORDOME

Bien, monsieur. Votre perruque est là.

LE MAITRE

Non, Mèdows, ma barbe est hirsute, mes ongles ont trop poussé, ne voyez-vous pas ?

MAJORDOME

Voici donc votre peignoir bordeaux et sa cascade de jabeaux.

Mélodie de clavecin définitivement contemporaine. Austérité.

LE MAITRE

Ah, vous voici encore docteur ! Je suis si las ! Si las ! Do, si, la… sol ! Sol, fa, do… UT !!!

DOCTEUR

Si je puis…

LE MAITRE

(Tantôt agacé, complaisant, et doux. Il fait parfois la grimace.)

Ah, cessez de me tourmenter : je dois communier avec mes gammes.
Sacristie, sacristie ! Transept... en – quatrins ! Voletez, angelots. UT ! Si-do-ré ! Si-do-ré ! Si-do-ré ! Si-do-ré ! Si-do-ré ! Si-do-ré !
ré ! ré, sol, si.... laaaaaaaaa.

DOCTEUR

Je ne sais pas si…

LE MAITRE

Oh ! Vous... Moi, je sais. Ce que vous vous apprêtez à dire, docteur ! Mais par pitié pour eux, taisez-vous, je tiens en exècre vos lettres de motivations. Tenez, je sais ce qu’il faut. Une pause : vous me menez la vie - rude ! Avec vos sottises... Je fais une sieste, et vous, fumez votre cigare. Vos doigts se mêlent : mes artères n’y survivent pas.

Bruit de clavecin que l’on ferme.

LE MAITRE

(Entreprenant.)

Que l’on prépare ma couche ! Mes illustres coussins ! Il me faut ceux… brodés de dorures.

MAJORDOME

(S'éloignant au pas de course, celui d’un cheval)

Haem-Mh-monsieur...

LE MAITRE

Docteur, ne fumez pas à l’intérieur : l’ancien propriétaire a eu la bonté d’épargner à ces antiques murs quelque odeur cancérigène.

DOCTEUR

(Sentant les murs)

Cela se sent. Et j’en conviens : ces murs sont de constitution fragile. Je m’éloigne.

LE MAITRE

Je m’endors.

VI – Cigare et cauchemar :

Le vent siffle pendant que le maître ronfle. Les draps se froissent, les ressorts grincent, le bois aussi. On rit au loin.

LE MAITRE

Non, laissez-moi, spectres diaphanes ! Vous êtes morts, ancêtres ! Supôts diaboliques ! Vous me tourmentez, je suis à l’agonie !

SPECTRES ANCESTRAUX

Tu portes notre sang, tu nous dois tant.

LE DESCENDANT

Je ne veux pas !

SPECTRES ANCESTRAUX

Tu te marieras, et à l’église pardi !

LE DESCENDANT

Les murs me retiennent, avec leurs bras musclés !

SPECTRES ANCESTRAUX

Tu forniqueras, nous saliverons. Tu auras des enfants.

LE DESCENDANT

Je suis tiraillé. Même un hostie le serait moins.

SPECTRES ANCESTRAUX

Tu travailleras, pour ta santé. Et puis, tu aimes ça ! Tu aimeras !

LE DESCENDANT

Je suis de points tillés ! Je suis phosphorescent !

SPECTRES ANCESTRAUX

Le pays sera du partage : on lui doit bien cela.

LE DESCENDANT

Je m’oublie, ça y est : je n’y suis plus.

SPECTRES ANCESTRAUX

Puis tu nous rejoindras, nous tiendras compagnie.

LE DESCENDANT

On voit à travers moi. Mais j’ai des rêves à faire !

SPECTRES ANCESTRAUX

Hardi ! Tirons les ficelles, et bien tendues !

LE DESCENDANT

Vous avez trop pompé : je ne puis plus en faire !

SPECTRES ANCESTRAUX

Tu avaleras, miam-miam !

LE DESCENDANT

(Râles et bruits de fouets)

SPECTRES ANCESTRAUX

(Grandiloquents)

Allez, allez ! Pressons le jus ! Du jus de cervelle, à la manivelle ! Youpi !

Bruits de pressoir à citrons mécanique(s).

SPECTRES ANCESTRAUX

A quel âge est mort le 3e enfant de Claude Debussy ? Combien de micromols de pus dans cent Pascals d’acétone ? Eurymédon, nymphes, procnée, Escagne : consanguinité ! Le rococo est-il si frais qu’on le dit ?

LE DESCENDANT

(Lucide)

Je ravale gaiement mon vomi.

SPECTRES ANCESTRAUX

Impression, dépression, pressons – le... JUS !

Passage dans le jardin.

DOCTEUR

(Pensant)

Ah, quel bon cigare ! Il a un goût de bon cigare. Parfois, ils sont mauvais, mais pas celui là. Je n’aime que les bons cigares.

Le docteur fume un bon cigare.
Bruits de nuit, bruit de calme, bruits de crapauds, bruitage de fumée, de souffles et de chouettes.
Au bout d’un certain temps, on ouvre une porte frêle.

MAJORDOME

Monsieur, monsieur ? Monsieur, monsieur, monsieur ? Monsieur, monsieur… monsieur, monsieur ?

DOCTEUR

Monsieur, j’arrive. Dites à monsieur que je termine mon cigare mâle,
- Bien meilleur que de... femelles cigarettes -
malgré que je n'aime pas les scènes machistes.

MAJORDOME

S’il vous sied de me suivre monsieur les cieux n’en seraient que plus cléments.

VII – Thérapie :

L’horloge sonne dix-sept coups. Les premiers sont semblables, pas les suivants.

LE MAITRE

J’étais las de vous attendre, savez-vous ?

DOCTEUR

Je hais ce ratard de naissance.

MAJORDOME

Les cauchemars ont blanchi monsieur.

DOCTEUR

C’est le sang bleu qui veut cela.

LE MAITRE

(Vexé)

Vos habits fument encore, les murs en souffrent.

DOCTEUR

(Etonné, puis résolu)

Je n’entends rien. La psychanalyse s’impose, cependant.

LE MAITRE

J’en conviens ! La fessée attendra, et derrière mon oreille : la droite.

Silence, sauf le feu.

LE MAITRE

(Déclamant)

Maman, ces livres, tu me les as tous faits finir ! Tu l’as brisé dans l’œuf, ce poète ! Les coquilles explosent, je coule, je me noie dans cette mousse à dentelles. Rrrrllllrrrrrlllblllbbbblbllblblblblllloubbloubbbbloubloublou ! Je suis plus beau qu’un pierrot bouffant !


(D’un ton doucereux)

On me caresse le crâne


(comme une fatalité, puis contemplatif)

... et on me chie dessus ! Il brille, quel beau cirage.

DOCTEUR

Continuez, mon cher.

LE MAITRE

(Renifflant)

DOCTEUR

Purgez-vous, monsieur.

LE MAITRE

(Renifflant)

DOCTEUR

Il en reste un peu, là.

LE MAITRE

(Renifflant)

DOCTEUR

Il faut curer le fond.

LE MAITRE

(Renifflant encore)

DOCTEUR

Il ne faut rien laisser : finissez tout !

LE MAITRE

Que les paroles sont divertissantes ! Je vais mieux : vous êtes doué, Docteur.

DOCTEUR

Merci de me le dire.

LE MAITRE

Que répondre à cela ? Sinon que je m’ennuie à nouveau... Vous m’aviez guéri ! Mais vous changez d’avis : vous n’y mettez plus du vôtre. La conversation tombe à plat : c’est un oeuf flasque. Eloignez-la, elle me dégoûte. Je suis malade – encore - ça y est je m’éteins, feu en panne de potins.

DOCTEUR

Votre langue est absconse. C'est n’impore quoi : on en jurerait ! Et depuis le début !

LE MAITRE

Eh ! Plaignez-moi, sinon feu, je le deviendrai bientôt. Je parle, je touche, mais il n'y a personne. Le temps ne m'oublie pas, lui.

DOCTEUR

Terrible mal, que de vivre !

LE MAITRE

Savoir la guérison, voilà la pire maladie. Je la sais, moi ! Et vous, savez-vous qui je suis ?

DOCTEUR

(Carthésien)

Les travestis ont des pulo roses, cela ne se peut pas !

LE MAITRE

Un chien bavant sur un steak, qu’il n’aura jamais. Je veux être malade, encore. Et je veux qu’on larmoie sur ma carcasse. Je m’abandonne à vos mains : vous en faites la demande. Mes domestiques sont incapables.

DOCTEUR

On le dit.

LE MAITRE

Tenez, amenez-moi de l’eau, pour ma fièvre.

DOCTEUR

(N'y allant pas)

J’y vais.

LE MAITRE

Si j’osais, dans le cas où vous eussiez pu rencontrer quelque âme, je vous déconseillerais de dire que j’aurais eu fait des requêtes ! Vous n’y avez pas seulement pensé : pourquoi le dire ? Je ne suis pas tyranique, je ne sais formuler un chouilla de caprice ! Allons, ne mentez pas !

DOCTEUR

Jamais d’un médecin : tout est dit en ce terme.

LE MAITRE

(Voyant d'un oeil inquiet le docteur s’éloigner)

Non, restez ici, ne vous dérangez pas.

DOCTEUR

Vous changez d’avis comme de chemise !

LE MAITRE

Je ne suis pas sôt, voilà tout ! Et je garde mes chemises plus longtemps que mes avis.

DOCTEUR

Et moi, je veux vous soigner... BOIRE ! Le maître sursaute.

DOCTEUR

Et deux litres par jour au moins ! Sans pesticides, en faisant attention aux poissons d’élevages ! Il en va de votre santé !

LE MAITRE

Ah oui, cella là ! Je l’avais oublié... Elle n’a pas fière mine, n’est-ce pas ?

DOCTEUR

A vrai dire, vous n’êtes pas mal.

LE MAITRE

Evidemment, "je ne suis pas mal" : je suis TRES mal. Et il faut me plaindre pour que j’aille mieux.

DOCTEUR

Maintenant que vous le dites... il faut aussi maigrir. (Cela, je ne le dis pas sous la contrainte.)

LE MAITRE

Vous pensez donc cela si avancé ?

DOCTEUR

En effet, l’agonie frappe, et fort. Ce qu’il vous manque, ce sont vos pantoufles, tenez.

LE MAITRE

Autrefois, j’étais battant, je bâtissais de grandes statues, autant que je m’intéressais au minuscule. J’étais partout. J’éblouissais. On ne me remarquait parfois pas, j’étais bienveillant. On admirait mes coutures ; jamais je n’en fis la demande. J’étais terre mille fois retournée. Maintenant, je suis malade. Ma cervelle l’est aussi : c’est moins de la culture que du grumeau. Et je veux qu’on me soigne ! Apitoyez-vous sur mes vieux jours, un peu... Tenez, ma calvitie m’effraie. Je veux mes dentelles domestiquées, emmenez mes eunuques !

DOCTEUR

Terrible mal, ces meaux !

LE MAITRE

Il faut me couver pour que je sois beau, docteur. Guérissez-moi !

Le docteur giffle bruyamment le maître, qui tombe à la renverse.

DOCTEUR

Voilà mes talents de praticien !

LE MAITRE

J’enrage !

DOCTEUR

Vous avez le teint communiste.

LE MAITRE

Mais, hé ! Je parle, je palpite, le sang circule : ça y est, je suis guéri !


(Déclamant)

Je suis âne : que l’on m’abreuve ! Du papier, des cases et tableaux ! Du volume ! Que l’on malaxe tout autour ! Vite, des contingences ! Je veux que l’on me frappe encore, toujours ! Que ma chair se marque, qu’elle s’étale, se répande, se fonde et se transforme en un monstrueux mélange !

DOCTEUR

Je le ferai ! Il sera gluant !

LE MAITRE

Et avec conviction, que diable !

DOCTEUR

Vos nerfs rougiront du passage incessant de correspondances hémétiques !

LE MAITRE

(Euphorique, puis convaincu.)

Ha, ha ! ET QU’ON ME FASSE VIVRE, UN PEU !




Petra-Fetucci Giacomo Milàn